A cette minute, Jean se décidait à ouvrir doucement sa porte. Bien qu’il ne s’inquiétât jamais des bruits de la ferme, il finissait par être surpris des allées et venues, des éclats de voix qu’il entendait. Et ce fut chez lui, dans sa chambre calme, que Silvine vint s’abattre, échevelée, sanglotante, secouée d’une telle crise de détresse, qu’il ne put saisir d’abord ses paroles bégayées, coupées entre ses dents. Toujours elle répétait le même geste, comme pour écarter l’atroce vision. Enfin, il comprit, il vit à son tour le guet-apens, l’égorgement, la mère debout, le petit dans ses jupes, en face du père saigné à la gorge, dont le sang coulait ; et il en restait glacé, son cœur de paysan et de soldat chaviré d’angoisse. Ah ! la guerre, l’abominable guerre qui changeait tout ce pauvre monde en bêtes féroces, qui semait ces haines affreuses, le fils éclaboussépar le sang du père, perpétuant la querelle des races, grandissant plus tard dans l’exécration de cette famille paternelle, qu’il irait peut-être un jour exterminer ! Des semences scélérates pour d’effroyables moissons !