Son Excellence Eugène Rougon
Son Excellence Eugène Rougon (paragraphe n°742)
Chapitre IV
Madame Correur, effrayée, le fit taire. Mais lui, insistait, disait que ces ponts de fer n'étaient jamais bien solides ; et, quand les deux voitures furent au milieu du pont, il affirma qu'il voyait le tablier danser. Quel plongeon, tonnerre ! Le papa, la maman, l'enfant, ils auraient tous bu un fameux coup ! Les voitures roulaient doucement, sans bruit : le tablier était si léger, avec sa longue courbe molle, qu'elles étaient comme suspendues, au-dessus du grand vide de la rivière ; en bas, dans la nappe bleue, elles se reflétaient, pareilles à d'étranges poissons d'or, qui auraient nagé entre deux eaux. L'empereur et l'impératrice, un peu las, avaient posé la tête sur le satin capitonné, heureux d'échapper un instant à la foule et de n'avoir plus à saluer. La gouvernante des Enfants de France, elle aussi, profitait des trottoirs déserts, pour relever le petit prince glissé de ses genoux ; tandis que la nourrice, penchée, l'amusait d'un sourire. Et le cortège entier baignait dans le soleil ; les uniformes, les toilettes, les harnais flambaient ; les voitures, toutes braisillantes, emplies d'une lueur d'astre, envoyaient des reflets de glace qui dansaient sur les maisons noires du quai Napoléon. Au loin, au-dessus du pont, se dressait, comme fond à ce tableau, la réclame monumentale peinte sur le mur d'une maison à six étages de l'île Saint-Louis, la redingote grise géante, vide de corps, que le soleil battait d'un rayonnement d'apothéose.