Son Excellence Eugène Rougon
Son Excellence Eugène Rougon (paragraphe n°598)
Chapitre III
C'est mon histoire que vous voulez ? dit-il. Rien de plus facile à conter. Mon grand-père vendait des légumes. Moi, jusqu'à trente-huit ans, j'ai traîné mes savates de petit avocat, au fond de ma province. J'étais un inconnu hier. Je n'ai pas comme notre ami Kahn usé mes épaules à soutenir tous les gouvernements. Je ne sors pas comme Béjuin de l'Ecole polytechnique. Je ne porte ni le beau nom du petit Escorailles ni la belle figure de ce pauvre Combelot. Je ne suis pas aussi bien apparenté que La Rouquette, qui doit son siège de député à sa sœur, la veuve du général de Llorentz, aujourd'hui dame du palais. Mon père ne m'a pas laissé comme à Delestang cinq millions de fortune, gagnés dans les vins. Je ne suis pas né sur les marches d'un trône, ainsi que le comte de Marsy, et je n'ai pas grandi pendu à la jupe d'une femme savante, sous les caresses de Talleyrand. Non, je suis un homme nouveau, je n'ai que mes poings...