Son Excellence Eugène Rougon

Son Excellence Eugène Rougon (paragraphe n°2385)

Chapitre XII

Clorinde était alors dans un épanouissement d'étrangeté et de puissance. Elle restait la grande fille excentrique qui battait Paris sur un cheval de louage pour conquérir un mari, mais la grande fille devenue femme, le buste élargi, les reins solides, accomplissant posément les actes les plus extraordinaires, ayant réalisé son rêve longtemps caressé d'être une force. Ses interminables courses au fond de quartiers perdus, ses correspondances inondant de lettres les quatre coins de la France et de l'Italie, son continuel frottement aux personnages politiques dans l'intimité desquels elle se glissait, toute cette agitation désordonnée, pleine de trous, sans but logique, avait fini par aboutir à une influence réelle, indiscutable. Elle lâchait encore des choses énormes, des projets fous, des espoirs extravagants, lorsqu'elle causait sérieusement ; elle promenait toujours son vaste portefeuille crevé, rattaché avec des ficelles, le portait entre ses bras comme un poupon, d'une façon si convaincue, que les passants souriaient, à la voir ainsi passer en longues jupes sales. Pourtant, on la consultait, on la craignait même. Personne n'aurait pu dire au juste d'où elle tirait son pouvoir ; il y avait là des sources lointaines, multiples, disparues, auxquelles il était bien difficile de remonter. On savait au plus des bouts d'histoire, des anecdotes qu'on se chuchotait à l'oreille. L'ensemble de cette singulière figure échappait,imagination détraquée, bon sens écouté et obéi, corps superbe où était, peut-être l'unique secret de sa royauté. D'ailleurs, peu importaient les dessous de la fortune de Clorinde. Il suffisait qu'elle régnât, même en reine fantasque. On s'inclinait.

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