Son Excellence Eugène Rougon
Son Excellence Eugène Rougon (paragraphe n°2188)
Chapitre X
Le bal flambait. Dans la salle à manger, dont on apercevait un coin par la porte grande ouverte, le premier adjoint bourrait de friandises les trois filles du conservateur des Eaux et Forêts ; tandis que le colonel du 78e de ligne buvait du punch, l'oreille tendue aux méchancetés de l'ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, qui croquait des pralines. Monsieur Kahn, près de la porte, répétait très haut au président du tribunalcivil son discours de l'après-midi, sur les bienfaits de la nouvelle voie ferrée, au milieu d'un groupe compact d'hommes graves, le directeur des contributions directes, les deux juges de paix, les délégués de la chambre consultative d'agriculture et de la société de statistique, bouches béantes. Puis, autour du grand salon, sous les cinq lustres, une valse que l'orchestre jouait avec des éclats de trompette berçait des couples, le fils du receveur général et la sœur du maire, l'un des substituts et une demoiselle en bleu, l'autre des substituts et une demoiselle en rose. Mais un couple surtout soulevait un murmure d'admiration, le commissaire central et la femme du proviseur galamment enlacés, tournant avec lenteur ; il s'était hâté d'aller faire une toilette correcte, habit noir, bottes vernies, gants blancs ; et la jolie blonde lui avait pardonné son retard, pâmée à son épaule, les yeux noyés de tendresse. Gilquin accentuait les mouvements de hanches, en rejetant en arrière son torse de beau danseur de bals publics, pointe canaille dont le haut goût ravissait la galerie. Rougon, que le couple faillit bousculer, dut se coller contre un mur, pour le laisser passer, dans un flot de tarlatane étoilée d'or.