Son Excellence Eugène Rougon
Son Excellence Eugène Rougon (paragraphe n°1665)
Chapitre IX
Au-dehors, la France, peureuse, se taisait. L'empereur, en appelant Rougon au pouvoir, voulait des exemples. Il connaissait sa poigne de fer ; il lui avait dit, au lendemain de l'attentat, dans la colère de l'homme sauvé : " Pas de modération ! Il faut qu'on vous craigne ! " Et il venait de l'armer de cette terrible loi de sûreté générale, qui autorisait l'internement en Algérie ou l'expulsion hors de l'Empire de tout individu condamné pour un fait politique. Bien qu'aucune main française n'eût trempé dans le crime de la rue Le Peletier, les républicains allaient être traqués et déportés ; c'était le coup de balai des dix mille suspects, oubliés le 2 Décembre. On parlait d'un mouvement préparé par le parti révolutionnaire ; on avait, disait-on, saisi des armeset des papiers. Dès le milieu de mars, trois cent quatre-vingts internés étaient embarqués à Toulon. Maintenant, tous les huit jours, un convoi partait. Le pays tremblait, dans la terreur qui sortait, comme une fumée d'orage, du cabinet de velours vert, où Rougon riait tout seul, en s'étirant les bras.