Son Excellence Eugène Rougon

Son Excellence Eugène Rougon (paragraphe n°1429)

Chapitre VIII

Elle couvait toujours Rougon des yeux, elle le voulait grand, comme si elle eût rêvé de l'engraisser de puissance, pour quelque régal futur. Elle gardait sa soumission de disciple, se mettait dans son ombre avec une humilité pleine de cajolerie. Lui, au milieu de l'agitation continue de la bande, semblait ne rien voir. Dans son salon, le jeudi et le dimanche, il faisait ses réussites, pesamment, le nez sur les cartes, sans paraître entendre les chuchotements, derrière son dos. La bande causait de l'affaire, s'adressait des signes par-dessus sa tête, complotait au coin de son feu, comme s'il n'eût pas été là, tant il semblait bonhomme ; il demeurait impassible, détaché de tout, si éloigné des choses dont on parlait à voix basse, qu'on finissait par hausser la voix, en s'égayant de ses distractions. Lorsqu'on mettait la conversation sur sa rentrée au pouvoir, il s'emportait, il jurait de ne jamais bouger, quand même un triomphe l'attendrait au bout de sa rue ; et, en effet, il s'enfermaitde plus en plus étroitement chez lui, affectant une ignorance absolue des événements extérieurs. Le petit hôtel de la rue Marbeuf, d'où rayonnait une telle fièvre de propagande, était un lieu de silence et de sommeil, au seuil duquel les familiers se jetaient des coups d'œil d'intelligence, pour laisser dehors l'odeur de bataille qu'ils apportaient dans leurs vêtements.

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