Son Excellence Eugène Rougon
Son Excellence Eugène Rougon (paragraphe n°1017)
Chapitre VI
Les mois s'écoulaient, il souriait avec une bonhomie plus sereine. Pas un des désespoirs qu'il étouffait ne montait à sa face. Il accueillait les plaintes de ses intimes par des raisonnements concluant tous à sa parfaite félicité. N'était-il pas heureux ? Il adorait l'étude, il travaillait à sa guise ; cela était préférable à l'agitationfiévreuse des affaires publiques. Puisque l'empereur n'avait pas besoin de lui, il faisait bien de le laisser tranquille dans son coin ; et il ne nommait ainsi l'empereur qu'avec le plus profond dévouement. Souvent pourtant, il déclarait être prêt, attendre simplement un signe de son maître pour reprendre " le fardeau du pouvoir " ; mais il ajoutait qu'il ne tenterait pas une seule démarche qui pût provoquer ce signe. En effet, il semblait mettre un soin jaloux à rester à l'écart. Dans le silence des premières années de l'Empire, au milieu de cette étrange stupeur faite d'épouvante et de lassitude, il entendait monter un sourd réveil. Et comme espoir suprême, il comptait sur quelque catastrophe qui le rendrait brusquement nécessaire. Il était l'homme des situations graves, " l'homme aux grosses pattes ", selon le mot de monsieur de Marsy.