Pot-Bouille

Pot-Bouille (paragraphe n°3043)

Chapitre XVII

Depuis le matin, Duveyrier agonisait. Il venait, une troisième fois, de surprendre Clarisse avec Théodore ; et, comme il protestait, toute la famille des camelots, la mère, le frère, les petites sœurs, s'était ruée sur lui, l'avait jeté dans l'escalier à coups de pied et à coups de poing. Clarisse, pendant ce temps, le traitait de panné, le menaçait furieusement d'envoyer chercher le commissaire, s'il remettait les pieds chez elle. C'était fini, le concierge apitoyé lui avait appris en bas que, depuis huit jours, un vieux très riche voulait entretenir madame. Alors, chassé, n'ayant plus de niche où vivre chaudement, Duveyrier, après avoir battu les trottoirs, était entré dans une boutique perdue acheter un revolver de poche. La vie devenait trop triste, il pourrait au moins la quitter, quand il aurait trouvé un bon endroit. Ce choix d'un coin tranquille le préoccupait, en rentrant rue de Choiseul d'un pas machinal, pour assister au convoi de monsieur Josserand. Puis, derrière le corps, il avait eu l'idée brusque de se tuer au cimetière : il s'en irait au fond, se cacherait derrière une tombe ; cela flattait son goût du romanesque, le besoin d'un idéal tendre et romantique, qui désolait son existence, sous la rigidité bourgeoise de son attitude. Mais, devant le cercueil qu'on descendait, il s'était mis à trembler, saisi du froid de la terre. Décidément, l'endroit ne valait rien, il fallait chercher ailleurs. Et, revenu plus malade, envahi par l'idée fixe, il réfléchissait sur une chaise du cabinet de toilette, discutant le meilleur coin de la maison : peut-être dans la chambre, au bord du lit, ou plus simplement à la place même où il se trouvait, sans bouger.

?>