Pot-Bouille
Pot-Bouille (paragraphe n°2967)
Chapitre XVII
Chez les Josserand, on attendait de jour en jour la proposition. Sans doute, Valérie avait parlé, les locataires discutaient le cas : étaient-ils dans la gêne au point de garder leur fille ? trouveraient-ils les cinquante mille francs pour s'en débarrasser ? Depuis que la question se posait, madame Josserand ne dérageait plus. Eh quoi ! après avoir eu tant de peine à marier une première fois Berthe, voilà qu'il fallait la marier encore ! Rien n'était fait, on redemandait une dot, les ennuis d'argent allaient recommencer ! Jamais une mère n'avait eu à renouveler ainsi de pareils travaux. Et tout cela par la faute de cette grande cruche, qui poussait la stupidité jusqu'à oublier ses devoirs ! La maison devenait un enfer, Berthe y endurait une continuelle torture, car sa sœur Hortenseelle-même, furieuse de ne plus coucher seule, ne prononçait pas une phrase, sans y glisser une allusion blessante. On en arrivait à lui reprocher ses repas. Quand on avait un mari quelque part, c'était drôle tout de même de rogner les plats de ses parents, déjà trop petits. Alors, la jeune femme, désespérée, sanglotait dans les coins, se traitant de lâche, ne se trouvant pas le courage de descendre se jeter aux pieds d'Auguste et de lui crier : " Tiens ! bats-moi, je ne puis pas être plus malheureuse ! " monsieur Josserand seul se montrait tendre pour sa fille. Mais il se mourait des fautes et des larmes de cette enfant, il agonisait de cruautés de la famille, en congé illimité, presque toujours au lit. Le Dr Juillerat qui le soignait, parlait d'une décomposition de sang : c'était une usure de l'être entier, où tous les organes se prenaient, les uns après les autres.