Nana
Nana (paragraphe n°2729)
Chapitre XIII
Alors, Nana, tout de suite, entama la Faloise. Il postulait depuis longtemps l'honneur d'être ruiné par elle, afin d'être parfaitement chic. Cela lui manquait, il fallait qu'une femme le lançât. En deux mois, Paris le connaîtrait, et il lirait son nom dans les journaux. Six semaines suffirent. Son héritage était en propriétés, des terres, des prairies, des bois, des fermes. Il dut vendre rapidement, coup sur coup. A chaque bouchée, Nana dévorait un arpent. Les feuillages frissonnant sous le soleil, les grands blés mûrs, les vignes dorées en septembre, les herbes hautes où les vaches enfonçaientjusqu'au ventre, tout y passait, dans un engloutissement d'abîme ; et il y eut même un cours d'eau, une carrière à plâtre, trois moulins qui disparurent. Nana passait, pareille à une invasion, à une de ces nuées de sauterelles dont le vol de flamme rase une province. Elle brûlait la terre où elle posait son petit pied. Ferme à ferme, prairie à prairie, elle croqua l'héritage, de son air gentil, sans même s'en apercevoir, comme elle croquait entre ses repas un sac de pralines posé sur ses genoux. Ça ne tirait pas à conséquence, c'étaient des bonbons. Mais, un soir, il ne resta qu'un petit bois. Elle l'avala d'un air de dédain, car ça ne valait même pas la peine d'ouvrir la bouche. La Faloise avait un rire idiot, en suçant la pomme de sa canne. La dette l'écrasait, il ne possédait plus cent francs de rente, il se voyait forcé de retourner en province vivre chez un oncle maniaque ; mais ça ne faisait rien, il était chic, Le Figaro avait imprimé deux fois son nom ; et, le cou maigre entre les pointes rabattues de son faux col, la taille cassée sous un veston trop court, il se dandinait, avec des exclamations de perruche et des lassitudes affectées de pantin de bois qui n'a jamais eu une émotion. Nana, qu'il agaçait, finit par le battre.