Nana

Nana (paragraphe n°2714)

Chapitre XIII

A cette heure, elle ne se gênait plus, elle avait reconquis une liberté entière. Tous les jours, elle faisait son tour du lac, ébauchant là des connaissances, qui se dénouaient ailleurs. C'était la grande retape, le persil ! au clair soleil, le raccrochage des catins illustres, étalées dans le sourire de tolérance et dans le luxe éclatant deParis. Des duchesses se la montraient d'un regard, des bourgeoises enrichies copiaient ses chapeaux ; parfois son landau, pour passer, arrêtait une file de puissants équipages, des financiers tenant l'Europe dans leur caisse, des ministres dont les gros doigts serraient la France à la gorge ; et elle était de ce monde du Bois, elle y prenait une place considérable, connue de toutes les capitales, demandée par tous les étrangers, ajoutant aux splendeurs de cette foule le coup de folie de sa débauche, comme la gloire même et la jouissance aiguë d'une nation. Puis, les liaisons d'une nuit, des passades continuelles dont elle-même chaque matin perdait le souvenir, la promenaient dans les grands restaurants, souvent à Madrid, par les beaux jours. Le personnel des ambassades défilait, elle dînait avec Lucy Stewart, Caroline Héquet, Maria Blond, en compagnie de messieurs écorchant le français, payant pour être amusés, les prenant à la soirée avec ordre d'être drôles, si blasés et si vides, qu'ils ne les touchaient même pas. Et elles appelaient ça " aller à la rigolade ", elles rentraient, heureuses de leurs dédains, finir la nuit aux bras de quelque amant de cœur.

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