Nana
Nana (paragraphe n°1494)
Chapitre VIII
Ça s'était fait brusquement, sans idée arrêtée de se mettre ensemble, dans le premier feu de leur lune de miel. Le lendemain de sa belle algarade, quand elle eut flanqué si carrément à la porte le comte et le banquier, Nana sentit tout crouler autour d'elle. D'un regard, elle jugea la situation : les créanciers allaient tomber dans son antichambre, se mêler de ses affaires de cœur, parler de tout vendre, si elle n'était pas raisonnable ; ce seraient des querelles, des cassements de tête à n'en plus finir, pour leur disputer ses quatre meubles. Et elle préféra tout lâcher. D'ailleurs, l'appartement du boulevard Haussmann l'assommait. Il était bête, avec ses grandes pièces dorées. Dans son coup de tendresse pour Fontan, elle rêvait d'une jolie petite chambre claire, retournant à son ancien idéal de fleuriste, lorsqu'elle ne voyait pas au-delà d'une armoire à glace en palissandre et d'un lit tendu de reps bleu. En deux jours, elle vendit ce qu'elle put sortir, des bibelots, des bijoux, et elle disparut avec une dizaine de mille francs, sans dire un mot à la concierge ; un plongeon, une fugue, pas une trace. Comme ça, les hommes ne viendraient pas se pendre après ses jupes.Fontan fut très gentil. Il ne dit pas non, il la laissa faire. Même il agit tout à fait en bon camarade. De son côté, il avait près de sept mille francs, qu'il consentit à joindre aux dix mille de la jeune femme, bien qu'on l'accusât d'avarice. Ça leur parut un fonds de ménage solide. Et ils partirent de là, tirant l'un et l'autre de leurs magots mis en commun, louant et meublant les deux pièces de la rue Véron, partageant tout en vieux amis. Au début, ce fut vraiment délicieux.