Nana
Nana (paragraphe n°1435)
Chapitre VII
Le long des boulevards, des gens attardés hâtaient le pas. Il tâcha de se calmer. L'histoire de cette fille recommençait toujours dans sa tête en feu, il aurait voulu raisonner les faits. C'était le matin que la comtesse devait revenir du château de madame de Chezelles. Rien, en effet, ne l'aurait empêchée de rentrer à Paris, la veille au soir, et de passer la nuit chez cet homme. Il se rappelait maintenant certains détails de leur séjour aux Fondettes. Un soir, il avait surpris Sabine sous les arbres, si émue, qu'elle ne pouvait répondre. L'homme était là. Pourquoi ne serait-elle pas chez lui, maintenant ? A mesure qu'il y pensait, l'histoire devenait possible. Il finit par la trouver naturelle et nécessaire. Tandis qu'il se mettait en manches de chemise chez une catin, sa femme se déshabillait dans la chambre d'un amant ; rien de plus simple ni de plus logique. Et, en raisonnant ainsi, il s'efforçait de rester froid. C'était une sensation de chute dans la folie de la chair s'élargissant, gagnant et emportant le monde, autour de lui. Des images chaudes le poursuivaient. Nana nue, brusquement, évoqua Sabine nue. A cette vision, qui les rapprochait dans une parenté d'impudeur, sous un même souffle de désir, il trébucha. Sur la chaussée, un fiacre avait failli l'écraser. Des femmes, sorties d'un café, le coudoyaient avec des rires. Alors, gagné de nouveau par les larmes, malgré son effort, ne voulant pas sangloter devant les gens, il se jeta dans une rue noire et vide, la rue Rossini, où, le long des maisons silencieuses, il pleura comme un enfant.