Le Ventre de Paris
Le Ventre de Paris (paragraphe n°939)
Chapitre IV
Elle ne répondit pas, oppressée par cet air tiède qui lui chauffait le visage. Elle était toute rose, et son corsage tendu, si mort d'ordinaire, prenait un frisson. Cela l'inquiéta, lui donna un malaise, d'entendre derrière elle le pas pressé de Marjolin, qui lui semblait comme haletant. Elle s'effaça, le laissa passer le premier. Le village, les ruelles noires dormaient toujours. Lisa s'aperçut que son compagnon prenait au plus long. Quand ils débouchèrent en face de la voie ferrée, il lui dit qu'il avait voulu lui montrer le chemin de fer ; et ils restèrent là un instant, regardant à travers les gros madriers de la palissade. Il offrit de lui faire visiter la voie. Elle refusa, en disant que ce n'était pas la peine, qu'elle voyait bien ce que c'était. Comme ils revenaient, ils trouvèrent la mère Palette devant sa resserre, ôtant les cordes d'un large panier carré, dans lequel on entendait un bruit furieux d'ailes et de pattes. Lorsqu'elle eut défait le dernier nœud, brusquement, de grands cous d'oie parurent, faisant ressort, soulevant le couvercle. Les oies s'échappèrent, effarouchées, la tête lancée en avant, avec des sifflements, des claquements de bec qui emplirent l'ombre de la cave d'une effroyable musique. Lisa ne put s'empêcher de rire, malgré les lamentations de la marchande de volailles, désespérée, jurant comme un charretier, ramenant par le cou deux oies qu'elle avait réussi à rattraper. Marjolin s'était mis à la poursuite d'une troisième oie. On l'entendit courir le long des rues, dépisté, s'amusant à cette chasse ; puis il y eut un bruit de bataille, tout au fond, et il revint, portant la bête. La mère Palette, une vieille femme jaune, la prit entre ses bras, la garda un moment sur son ventre, dans la pose de la Léda antique.