Le Ventre de Paris
Le Ventre de Paris (paragraphe n°902)
Chapitre IV
Cet esprit tendre vivait dans de telles illusions, qu'il craignait de blesser son frère et sa belle-sœur en ne mangeant plus chez eux. Il avait mis plus de deux mois à s'apercevoir de l'hostilité sourde de Lisa ; parfois encore, il craignait de se tromper, il la trouvait très bonne à son égard. Le désintéressement, chez lui, était poussé jusqu'àl'oubli de ses besoins ; ce n'était plus une vertu, mais une indifférence suprême, un manque absolu de personnalité. Jamais il ne songea, même lorsqu'il se vit chassé peu à peu, à l'héritage du vieux Gradelle, aux comptes que sa belle-sœur voulait lui rendre. Il avait, d'ailleurs, arrêté à l'avance tout un projet de budget : avec l'argent que madame Verlaque lui laissait sur ses appointements, et les trente francs d'une leçon que la belle Normande lui avait procurée, il calculait qu'il aurait à dépenser dix-huit sous à son déjeuner et vingt-six sous à son dîner. C'était très suffisant. Enfin, un matin, il se risqua, il profita de la nouvelle leçon qu'il donnait, pour prétendre qu'il lui était impossible de se trouver à la charcuterie aux heures des repas. Ce mensonge laborieux le fit rougir. Et il s'excusait :