Le Ventre de Paris

Le Ventre de Paris (paragraphe n°885)

Chapitre IV

Alors, les amours de Cadine et de Marjolin s'étalèrent encore. Ils furent parfaitement heureux. Il faisait le galant, la menait en cabinet particulier, pour croquer des pommes crues ou des cœurs de céleri, dans quelque coin noir des caves. Il vola un jour un hareng saur qu'ils mangèrent délicieusement, sur le toit du pavillon de la marée, au bord des gouttières. Les Halles n'avaient pas un trou d'ombre où ils n'allaient cacher leurs régals tendres d'amoureux. Le quartier, ces files de boutiques ouvertes, pleines de fruits, de gâteaux, de conserves, ne fut plus un paradis fermé, devant lequel rôdait leur faim de gourmands, avec des envies sourdes. Ils allongeaient la main en passant le long des étalages, chipant un pruneau, une poignée de cerises, un bout de morue. Ils s'approvisionnaient également aux Halles, surveillant les allées des marchés, ramassant tout ce qui tombait, aidant même souvent à tomber, d'un coup d'épaule, les paniers de marchandises. Malgré cette maraude, des notes terribles montaient chez le friteur de la rue de la Grande-Truanderie. Ce friteur, dont l'échoppe était appuyée contre une maison branlante, soutenue par de gros madriers verts de mousse, tenait des moules cuitesnageant dans une eau claire, au fond de grands saladiers de faïence, des plats de petites limandes jaunes et roidies, sous leur couche trop épaisse de pâte, des carrés de gras-double mijotant au cul de la poêle, des harengs grillés, noirs, charbonnés, si durs, qu'ils sonnaient comme du bois. Cadine, certaines semaines, devait jusqu'à vingt sous ; cette dette l'écrasait, il lui fallait vendre un nombre incalculable de bouquets de violettes, car elle n'avait pas à compter du tout sur Marjolin. D'ailleurs, elle était bien forcée de rendre à Léon ses politesses ; elle se sentait même un peu honteuse de ne jamais avoir le moindre plat de viande. Lui, finissait par prendre des jambons entiers. D'habitude, il cachait tout dans sa chemise. Quand il montait de la charcuterie, le soir, il tirait de sa poitrine des bouts de saucisse, des tranches de pâté de foie, des paquets de couennes. Le pain manquait, et l'on ne buvait pas. Marjolin aperçut Léon embrassant Cadine, une nuit entre deux bouchées. Cela le fit rire. Il aurait assommé le petit d'un coup de poing ; mais il n'était point jaloux de Cadine, il la traitait en bonne amie qu'on a depuis longtemps.

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