Le Ventre de Paris

Le Ventre de Paris (paragraphe n°852)

Chapitre IV

Alors, ils grandirent ensemble, on les vit toujours les mains à la taille. La nuit, la mère Chantemesse les entendait qui bavardaient doucement. La voix flûtée de Cadine, pendant des heures, racontait des choses sans fin, que Marjolin écoutait avec des étonnements plus sourds. Elle était très méchante, elle inventait des histoires pour lui faire peur, lui disait que, l'autre nuit, elle avait vu un homme tout blanc, au pied de leur lit, qui les regardait, en tirant une grande langue rouge. Marjolin suait d'angoisse, lui demandait des détails ; et elle se moquait de lui, elle finissait par l'appeler " grosse bête. " D'autres fois, ils n'étaient pas sages, ils se donnaient des coups de pied, sous les couvertures ; Cadine repliait les jambes, étouffait ses rires, quand Marjolin, de toutes ses forces, la manquait et allait taper dans le mur. Il fallait, ces fois-là, que la mère Chantemesse se levât pour border les couvertures ; elle les endormait tous les deux d'unecalotte, sur l'oreiller. Le lit fut longtemps ainsi pour eux un lieu de récréation ; ils y emportaient leurs joujoux, ils y mangeaient des carottes et des navets volés ; chaque matin, leur mère adoptive était toute surprise d'y trouver des objets étranges, des cailloux, des feuilles, des trognons de pommes, des poupées faites avec des bouts de chiffon. Et, les jours de grands froids, elle les laissait là, endormis, la tignasse noire de Cadine mêlée aux boucles blondes de Marjolin, les bouches si près l'une de l'autre, qu'ils semblaient se réchauffer de leur haleine.

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