Le Ventre de Paris
Le Ventre de Paris (paragraphe n°537)
Chapitre III
Monsieur Lebigre tenait un fort bel établissement, d'un luxe tout moderne. Placé à l'encoignure droite de la rue Pirouette, sur la rue Rambuteau, flanqué de quatre petits pins de Norvège dans des caisses peintes en vert, il faisait un digne pendant à la grande charcuterie des Quenu-Gradelle. Les glaces claires laissaient voir la salle, ornée de guirlandes de feuillages, de pampres et de grappes, sur un fond vert tendre. Le dallage était blanc et noir, à grands carreaux. Au fond, le trou béant de la cave s'ouvrait sous l'escalier tournant, à draperie rouge, qui menait au billard du premier étage. Mais le comptoir surtout, à droite, était très riche, avec son large reflet d'argent poli. Le zinc retombant sur le soubassement de marbre blanc et rouge, en une haute bordure gondolée, l'entourait d'une moire, d'une nappe de métal, comme un maître-autel chargé de ses broderies. A l'un des bouts, les théières de porcelaine pour le vin chaud et le punch, cerclées de cuivre, dormaient sur le fourneau à gaz ; à l'autre bout, une fontaine de marbre, très élevée, très sculptée, laissait tomber perpétuellement dans une cuvette un fil d'eau si continu qu'il semblait immobile ; et, au milieu, au centre des trois pentes du zinc, se creusait un bassin à rafraîchir et à rincer, où des litres entamés alignaient leurs cols verdâtres. Puis, l'armée des verres, rangée par bandes, occupait les deux côtés : les petits verres pour l'eau-de-vie, les gobelets épais pour les canons, les coupes pour les fruits, les verres à absinthe,les chopes, les grands verres à pied, tous renversés, le cul en l'air, reflétant dans leur pâleur les luisants du comptoir. Il y avait encore, à gauche, une urne de melchior montée sur un pied qui servait de tronc ; tandis que, à droite, une urne semblable se hérissait d'un éventail de petites cuillers.