Le Ventre de Paris
Le Ventre de Paris (paragraphe n°451)
Chapitre II
Quand on fut arrivé, continua Florent, on conduisit l'homme dans une île nommée l'île du Diable. Il était là avec d'autres camarades qu'on avait aussi chassés de leur pays. Tous furent très malheureux. On les obligea d'abord à travailler comme des forçats. Le gendarme qui les gardait les comptait trois fois par jour, pour être bien sûr qu'il ne manquait personne. Plus tard, on les laissa libres de faire ce qu'ils voulaient ; on les enfermait seulement la nuit, dans une grande cabane de bois, où ils dormaient sur des hamacs tendus entre deux barres. Au bout d'un an, ils allaient nu-pieds, et leurs vêtements étaient si déchirés, qu'ils montraient leur peau. Ils s'étaient construit des huttes avec des troncs d'arbre, pour s'abriter contre le soleil, dont la flamme brûle tout dans ce pays-là ; mais les huttes ne pouvaient les préserver des moustiques qui, la nuit, les couvraient de boutons et d'enflures. Il en mourut plusieurs ; les autres devinrenttout jaunes, si secs, si abandonnés, avec leurs grandes barbes, qu'ils faisaient pitié...