Le Ventre de Paris
Le Ventre de Paris (paragraphe n°441)
Chapitre II
Il était une fois un pauvre homme. On l'envoya très loin, très loin, de l'autre côté de la mer... Sur le bateau qui l'emportait, il y avait quatre cents forçats avec lesquels on le jeta. Il dut vivre cinq semaines au milieu de ces bandits, vêtu comme eux de toile à voile, mangeant à leur gamelle. De gros poux le dévoraient, des sueurs terribles le laissaient sans force. La cuisine, la boulangerie, la machine du bateau, chauffaient tellement les faux-ponts, que dix des forçats moururent de chaleur.Dans la journée, on les faisait monter cinquante à la fois, pour leur permettre de prendre l'air de la mer ; et, comme on avait peur d'eux, deux canons étaient braqués sur l'étroit plancher où ils se promenaient. Le pauvre homme était bien content, quand arrivait son tour. Ses sueurs se calmaient un peu. Il ne mangeait plus, il était très malade. La nuit, lorsqu'on l'avait remis aux fers, et que le gros temps le roulait entre ses deux voisins, il se sentait lâche, il pleurait, heureux de pleurer sans être vu...