Le Ventre de Paris

Le Ventre de Paris (paragraphe n°236)

Chapitre II

Le ménage profitait, en effet. Ils avaient eu une fille, dès la première année de leur mariage. A eux trois, ils réjouissaient les yeux. La maison allait largement, heureusement, sans trop de fatigue, comme le voulait Lisa. Elle avait soigneusement écarté toutes les causes possibles de trouble, laissant couler les journées au milieu de cet air gras, de cette prospérité alourdie. C'était un coin de bonheur raisonné, une mangeoire confortable, où la mère, le père et la fille s'étaient mis à l'engrais. Quenu seul avait des tristesses parfois, quand il songeait à son pauvre Florent. Jusqu'en 1856, il reçut des lettres de lui, de loin en loin. Puis, les lettres cessèrent ; il apprit par un journal que trois déportés avaient voulu s'évader de l'île du Diable et s'étaient noyés avant d'atteindre la côte. A la préfecture de police, on ne put lui donner de renseignements précis ; son frère devait être mort. Il conserva pourtant quelque espoir, mais les mois se passèrent. Florent, qui battait la Guyane hollandaise, se gardait d'écrire, espérant toujours rentrer en France. Quenu finit par le pleurer comme un mort auquel on n'apu dire adieu. Lisa ne connaissait pas Florent. Elle trouvait de très bonnes paroles toutes les fois que son mari se désespérait devant elle ; elle le laissait lui raconter pour la centième fois des histoires de jeunesse, la grande chambre de la rue Royer-Collard, les trente-six métiers qu'il avait appris, les friandises qu'il faisait cuire dans le poêle, tout habillé de blanc tandis que Florent était tout habillé de noir. Elle l'écoutait tranquillement, avec des complaisances infinies.

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