Le Ventre de Paris

Le Ventre de Paris (paragraphe n°229)

Chapitre II

Cependant, Lisa était une femme intelligente qui comprit vite la sottise de laisser dormir leurs quatre-vingt-quinze mille francs dans le tiroir de la commode. Quenu les aurait volontiers remis au fond du saloir, en attendant d'en avoir gagné autant ; ils se seraient alors retirés à Suresnes, un coin de la banlieue qu'ils aimaient. Mais elle avait d'autres ambitions. La rue Pirouette blessait ses idées de propreté, son besoin d'air, delumière, de santé robuste. La boutique, où l'oncle Gradelle avait amassé son trésor, sou à sou, était une sorte de boyau noir, une de ces charcuteries douteuses des vieux quartiers, dont les dalles usées gardent l'odeur forte des viandes, malgré les lavages ; et la jeune femme rêvait une de ces claires boutiques modernes, d'une richesse de salon, mettant la limpidité de leurs glaces sur le trottoir d'une large rue. Ce n'était pas, d'ailleurs, l'envie mesquine de faire la dame, derrière un comptoir ; elle avait une conscience très nette des nécessités luxueuses du nouveau commerce. Quenu fut effrayé, la première fois, quand elle lui parla de déménager et de dépenser une partie de leur argent à décorer un magasin. Elle haussait doucement les épaules, en souriant.

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