Le Ventre de Paris

Le Ventre de Paris (paragraphe n°111)

Chapitre I

Puis, en face, rue Pirouette, il montra, expliqua chaque maison. Un seul bec de gaz brûlait dans un coin. Les maisons, tassées, renflées, avançaient leurs auvents comme " des ventres de femme grosse, " selon l'expression du peintre, penchaient leurs pignons en arrière, s'appuyaient aux épaules les unes des autres. Trois ou quatre, au contraire, au fond de trous d'ombre, semblaient près de tomber sur le nez. Le bec de gaz en éclairait une, très blanche, badigeonnée à neuf, avec sa taille de vieille femme cassée et avachie, toute poudrée à blanc, peinturlurée comme une jeunesse. Puis la file bossuée des autres s'en allait, s'enfonçant en plein noir, lézardée, verdie par les écoulements des pluies, dans une débandade de couleurs et d'attitudes telle, que Claude en riait d'aise. Florent s'était arrêté au coin de la rue de Mondétour, en face de l'avant-dernière maison, à gauche. Les trois étages dormaient, avec leurs deux fenêtres sans persiennes, leurs petits rideaux blancs bien tirés derrièreles vitres ; en haut, sur les rideaux de l'étroite fenêtre du pignon, une lumière allait et venait. Mais la boutique, sous l'auvent, paraissait lui causer une émotion extraordinaire. Elle s'ouvrait. C'était un marchand d'herbes cuites ; au fond, des bassines luisaient ; sur la table d'étalage, des pâtés d'épinards et de chicorée, dans des terrines, s'arrondissaient, se terminaient en pointe, coupés, derrière, par de petites pelles, dont on ne voyait que le manche de métal blanc. Cette vue clouait Florent de surprise ; il devait ne pas reconnaître la boutique ; il lut le nom du marchand, Godebœuf, sur une enseigne rouge, et resta consterné. Les bras ballants, il examinait les pâtés d'épinards, de l'air désespéré d'un homme auquel il arrive quelque malheur suprême.

?>