Le Ventre de Paris

Le Ventre de Paris (paragraphe n°1017)

Chapitre V

Cependant, Lisa expliqua ses scrupules à l'abbé Roustan. Jamais il n'était question entre eux de religion. Elle ne se confessait pas, elle le consultait simplement dans les cas difficiles, à titre d'homme discret et sage, qu'elle préférait, disait-elle parfois, à ces hommes d'affaires louches qui sentent le bagne. Lui, se montrait d'une complaisance inépuisable ; il feuilletait le code pour elle, lui indiquait les bons placements d'argent,résolvait avec tact les difficultés morales, lui recommandait des fournisseurs, avait une réponse prête à toutes les demandes, si diverses et si compliquées qu'elles fussent, le tout naturellement, sans mettre Dieu de l'affaire, sans chercher à en tirer un bénéfice quelconque à son profit ou au profit de la religion. Un remerciement et un sourire lui suffisaient. Il semblait bien aise d'obliger cette belle madame Quenu, dont sa femme de ménage lui parlait souvent avec respect, comme d'une personne très estimée dans le quartier. Ce jour-là, la consultation fut particulièrement délicate. Il s'agissait de savoir quelle conduite l'honnêteté l'autorisait à tenir vis-à-vis de son beau-frère ; si elle avait le droit de le surveiller, de l'empêcher de les compromettre, son mari, sa fille et elle ; et encore jusqu'où elle pourrait aller dans un danger pressant. Elle ne demanda pas brutalement ces choses, elle posa les questions avec des ménagements si bien choisis que l'abbé put disserter sur la matière sans entrer dans les personnalités. Il fut plein d'arguments contradictoires. En somme, il jugea qu'une âme juste avait le droit, le devoir même d'empêcher le mal, quitte à employer les moyens nécessaires au triomphe du bien.

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