Le Rêve
Le Rêve (paragraphe n°966)
Chapitre XIII
Au lendemain de sa visite à Angélique, l'explication terrible avait eu lieu entre Félicien et son père. Dès le matin, ce jour-là, il força les portes, se fit recevoir dans l'oratoire même, où l'évêque était encore en oraison, après une de ces nuits de lutte affreuse contre le passé renaissant. Chez ce fils respectueux, courbé jusqu'alorspar la crainte, la révolte débordait, longtemps étouffée ; et le choc fut rude, qui heurtait ces deux hommes, du même sang, prompt à la violence. Le vieillard, ayant quitté son prie-Dieu, écoutait, les joues tout de suite empourprées, muet, dans une obstination hautaine. Le jeune homme, la flamme également au visage, vidait son cœur, parlait d'une voix qui s'élevait peu à peu, grondante. Il disait Angélique malade, à l'agonie, il racontait dans quelle crise de tendresse épouvantée il avait fait le projet de fuir avec elle, et comment elle s'était refusée à le suivre, d'un renoncement et d'une chasteté de sainte. Ne serait-ce pas un meurtre, que de la laisser mourir, cette enfant obéissante, qui entendait ne le tenir que de la main de son père ? Lorsqu'elle pouvait l'avoir enfin, lui, son titre, sa fortune, elle avait crié non, elle s'était débattue, victorieuse d'elle-même. Et il l'aimait, à en mourir, lui aussi, il se méprisait, de n'être point à son côté, pour s'éteindre ensemble, du même souffle ! Aurait-on la cruauté de vouloir leur fin misérable à tous deux ? Ah ! l'orgueil du nom, la gloire de l'argent, l'entêtement dans la volonté, est-ce que cela pesait, lorsqu'il n'y avait plus que deux heureux à faire ? Et il joignait, il tordait ses mains tremblantes, hors de lui, il exigeait un consentement, suppliant encore, menaçant déjà. Mais l'évêque ne se décida à ouvrir les lèvres que pour répondre par le mot de sa toute-puissance : Jamais !