Le Rêve
Le Rêve (paragraphe n°86)
Chapitre II
Là, instruit par l'expérience, il s'était promis d'agir diplomatiquement. Mais madame Foucart, une femme énorme, tassée sur des jambes courtes, ne le laissa pas déployer en bel ordre les questions qu'il avait préparées à l'avance. Dès qu'il lâcha les prénoms de l'enfant et la date du dépôt, elle partit d'elle-même, elle conta toute l'histoire, d'un flot de rancune. Ah ! la petite vivait ! eh bien, elle pouvait se flatter d'avoir pour mère une fameuse coquine ! Oui, madame Sidonie, comme on la nommait depuis son veuvage, une femme très bien apparentée, ayant un frère ministre, disait-on, ce qui ne l'empêchait pas de faire les plus vilains commerces ! Et elle expliqua de quelle façon elle l'avait connue, quand la gueuse tenait, rue Saint-Honoré, un commerce de fruits et d'huile de Provence, à son arrivée de Plassans, d'où ils débarquaient, elle et son mari, pour tenter fortune. Le mari mort et enterré, elle avait eu une fille quinze mois après, sans savoir au juste où elle l'avait prise, car elle était sèche comme une facture, froide comme un protêt, indifférente et brutale comme un recors. On pardonne une faute, mais l'ingratitude ! Est-ce que, le magasin mangé, elle, madame Foucart, ne l'avait pas nourrie pendant ses couches, ne s'était pas dévouée jusqu'à la débarrasser, en portant la petite là-bas ? Et, pour récompense, lorsqu'elle était, à son tour, tombée dans lapeine, elle n'avait pas réussi à en tirer le mois de la pension, ni même quinze francs prêtés de la main à la main. Aujourd'hui, madame Sidonie occupait, rue du Faubourg-Poissonnière, une petite boutique et trois pièces, à l'entresol, où, sous le prétexte de vendre des dentelles, elle vendait de tout. Ah ! oui, ah ! oui, une mère de cette espèce, il valait mieux ne pas la connaître !