Le Rêve

Le Rêve (paragraphe n°80)

Chapitre II

Parmi toutes ces saintes, Angélique eut ses préférées, celles dont les leçons allaient jusqu'à son cœur, qui la touchaient au point de la corriger. Ainsi, la sage Catherine, née dans la pourpre, l'enchantait par la science universelle de ses dix-huit ans, lorsqu'elle dispute avec les cinquante rhéteurs et grammairiens, que lui oppose l'empereur Maxime. Elle les confond, les réduit au silence. " Ilz furent esbahys et ne sceurent que dire, mais se teurent tous. Et lempereur les blasma pour ce quilz se estoient laissez vaincre si laidement d'une pucelle. " Les cinquante alors vont lui déclarer qu'ils se convertissent. " Et adonc quant le tyran ouyt ce, il fut tout esprins de grande forcenerie et conunanda quilz fussent tous ardz au meillieu de la cité. " A ses yeux,Catherine était la savante invincible, aussi fière et éclatante de sagesse que de beauté, celle qu'elle aurait voulu être, pour convertir les hommes et se faire nourrir en prison par une colombe, avant d'avoir la tête tranchée. Mais surtout Elisabeth, la fille du roi de Hongrie, lui devenait un continuel enseignement. A chacune des révoltes de son orgueil, lorsque la violence l'emportait, elle songeait à ce modèle de douceur et de simplicité, pieuse à cinq ans, refusant de jouer, se couchant par terre pour rendre hommage à Dieu, plus tard épouse obéissante et mortifiée du landgrave de Thuringe, montrant à son époux un visage gai que des larmes inondaient toutes les nuits, enfin veuve continente, chassée de ses Etats, heureuse de mener la vie d'une pauvresse. " Sa vesture estoit si vile quelle portoit ung manteau gris alonge de autre couleur de drap. Les manches de sa cotte estoient rompues et ramendées d'autre couleur. " Le roi, son père, l'envoie chercher par un comte. " Et quant le conte la veit en tel habit et firant, il se escria de douleur et de merveilles, et dist : Oncques fille de roy ne apparut en tel habit, ne ne fut veue filler laine. " Elle est la parfaite humilité chrétienne qui vit de pain noir avec les mendiants, panse leurs plaies sans dégoût, porte leurs vêtements, grossiers, dort sur la terre dure, suit les processions pieds nus. " Elle lavoit aucunes fois les escueles et les vaisseaulx de la cuysine, et se mussoit et se cachoit que les chainbrieres ne len détournassent, et disoit : Si je eusse trouve une autre vie plus despite, je leusse prinse. " De sorte qu'Angélique, raidie de colère autrefois, lorsqu'on lui faisait laver la cuisine, s'ingéniait maintenant à des besognes basses, quand elle se sentait tourmentée du besoin de domination. Enfin, plus queCatherine, plus qu'Elisabeth, plus que toutes, une sainte lui était chère, Agnès, l'enfant martyre. Son cœur tressaillait, en la retrouvant dans la Légende, cette vierge, vêtue de sa chevelure, qui l'avait protégée sous la porte de la cathédrale. Quelle flamme de pur amour ! comme elle repousse le fils du gouverneur qui l'accoste au sortir de l'école ! " Dà ! hors de moy, pasteur de mort, commencement de peche et nourrissement de felonie. " Comme elle célèbre l'amant ! " Jayme celluy duquel la mere est Vierge et le pere ne congneut oncque femme, de la beauté duquel le soleil et la lune sesmerveillent, par lodeur duquel les morts revivent. " Et, quand Aspasien commande qu'on lui mette " ung glayve parmy la gorge ", elle monte au paradis s'unir à " son espoux blanc et vermeil ". Depuis quelques mois surtout, à des heures troubles, lorsque des chaleurs de sang lui battaient les tempes, Angélique l'évoquait, l'implorait ; et, tout de suite, il lui semblait être rafraîchie. Elle la voyait continuellement à son entour, elle se désespérait de faire souvent, de penser des choses, dont elle la sentait fâchée. Un soir qu'elle se baisait les mains, ainsi qu'elle en prenait parfois encore le plaisir, elle devint brusquement très rouge et se tourna, confuse, bien qu'elle fût seule, ayant compris que la sainte l'avait vue. Agnès était la gardienne de son corps.

?>