Le Rêve

Le Rêve (paragraphe n°220)

Chapitre IV

Deux soirées s'étaient passées encore, lorsque, la troisième nuit, en venant s'accouder, Angélique reçut au cœur un choc violent. Là, dans la clarté vive, elle l'aperçut debout, tourné vers elle. Son ombre, ainsi que celle des arbres, s'était repliée sous ses pieds, avait disparu. Il n'y avait plus que lui, très clair. A cette distance, elle le voyait comme en plein jour, âgé de vingt ans, blond, grand et mince. Il ressemblait au saint Georges, à un Jésus superbe, avec ses cheveux bouclés, sa barbe légère, son nez droit, un peu fort, ses yeux noirs, d'une douceur hautaine. Et elle le reconnaissait parfaitement : jamais elle ne l'avait vu autre, c'était lui, c'était ainsi qu'elle l'attendait. Le prodige s'achevait enfin, la lente création de l'invisible aboutissait à cette apparition vivante. Il sortait de l'inconnu, du frisson des choses, des voix murmurantes, des jeux mouvants de la nuit, de tout ce qui l'avait enveloppée, jusqu'à la faire défaillir. Aussi le voyait-elle à deux pieds du sol, dans le surnaturel de sa venue, tandis que le miracle l'entourait de toutes parts, flottant sur le lac mystérieux de la lune. Il gardait pour escorte le peuple entier de la Légende, les saints dont les bâtons fleurissent, les saintes dont les blessures laissent pleuvoir du lait. Et le vol blanc des vierges pâlissait les étoiles.

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