Le Rêve
Le Rêve (paragraphe n°214)
Chapitre IV
Une nuit de mai, à ce balcon où elle passait de si longues heures, elle éclata en larmes. Elle n'avait point de tristesse, elle était bouleversée par une attente, bien que personne ne dût venir. Il faisait très noir, le Clos-Marie se creusait comme un trou d'ombre, sous le ciel criblé d'étoiles, et elle ne distinguait que les masses ténébreuses des vieux ormes de l'Evêché et de l'hôtel Voincourt. Seul, le vitrail de la chapelle luisait. Si personne ne devaitvenir, pourquoi donc son cœur battait-il ainsi, à larges coups ? C'était une attente qui datait de loin, du fond de sa jeunesse, une attente qui avait grandi avec l'âge, pour aboutir à cette fièvre anxieuse de sa puberté. Rien ne l'aurait surprise, il y avait des semaines qu'elle entendait bruire des voix, dans ce coin de mystère peuplé de son imagination. La Légende y avait lâché son monde surnaturel de saints et de saintes, le miracle était prêt à y fleurir. Elle comprenait bien que tout s'animait, que les voix venaient des choses, jadis silencieuses, que les feuilles des arbres, les eaux de la Chevrotte, les pierres de la cathédrale lui parlaient. Mais qui donc annonçaient ainsi les chuchotements de l'invisible, que voulaient faire d'elle les forces ignorées, soufflant de l'au-delà et flottant dans l'air ? Elle restait les yeux sur les ténèbres, comme à un rendez-vous que personne ne lui avait donné, et elle attendait, elle attendait toujours, jusqu'à tomber de sommeil, tandis qu'elle sentait l'inconnu décider de sa vie, en dehors de son vouloir.