Le Rêve

Le Rêve (paragraphe n°212)

Chapitre IV

La Légende le lui avait enseigné : n'est-ce pas le miracle qui est la règle commune, le train ordinaire des choses ? Il existe à l'état aigu, continu, s'opère avec une facilité extrême, à tous propos, se multiplie, s'étale, déborde, même inutilement, pour le plaisir de nier les lois de la nature. On vit de plain-pied avec Dieu. Abagar, roi d'Edesse, écrit à Jésus qui lui répond. Ignace reçoit des lettres de la Vierge. En tous lieux, la Mère et le Fils apparaissent, prennent des déguisements, causent d'un air de bonhomie souriante. Lorsqu'il les rencontre, Etienne est plein de familiarité. Toutes les vierges épousent Jésus, les martyrs montent au ciel s'unir à Marie. Et, quant aux anges et aux saints, ils sont les ordinaires compagnonsdes hommes, vont, viennent, passent au travers des murs, se montrent en rêve, parlent du haut des nuages, assistent à la naissance et à la mort, soutiennent dans les supplices, délivrent des cachots, apportent des réponses, font des commissions. Sur leurs pas, c'est une floraison inépuisable de prodiges. Silvestre attache la gueule d'un dragon avec un fil. La terre se hausse, pour servir de siège à Hilaire, que ses compagnons voulaient humilier. Une pierre précieuse tombe dans le calice de saint Loup. Un arbre écrase les ennemis de saint Martin, un chien lâche un lièvre, un incendie cesse de brûler, quand il l'ordonne. Marie l'Egyptienne marche sur la mer, des mouches à miel s'échappent de la bouche d'Ambroise, à sa naissance. Continuellement, les saints guérissent les yeux malades, les membres paralysés ou desséchés, la lèpre, la peste surtout. Pas une maladie ne résiste au signe de la croix. Dans une foule, les souffrants et les faibles sont mis à part, pour être guéris en masse, d'un coup de foudre. La mort est vaincue, les résurrections sont si fréquentes, qu'elles rentrent dans les petits événements de chaque jour. Et, lorsque les saints eux-mêmes ont rendu l'âme, les prodiges ne s'arrêtent pas, ils redoublent, ils sont comme les fleurs vivaces de leurs tombeaux. Deux fontaines d'huile, remède souverain, coulent des pieds et de la tête de Nicolas. Une odeur de rose monte du cercueil de Cécile, quand on l'ouvre. Celui de Dorothée est plein de manne. Tous les os des vierges et des martyrs confondent les menteurs, forcent les voleurs à restituer leurs larcins, exaucent les vœux des femmes stériles, rendent la santé aux moribonds. Plus rien n'est impossible, l'invisible règne, l'unique loi est le caprice du surnaturel. Dans les temples, les enchanteurs s'en mêlent,on voit des faucilles faucher toutes seules et des serpents d'airain se mouvoir, on entend des statues de bronze rire et des loups chanter. aussitôt, les saints répondent, les accablent : des hosties sont changées en chair vivante, des images du Christ laissent échapper du sang, des bâtons plantés en terre fleurissent, des sources jaillissent, des pains chauds se multiplient aux pieds des indigents, un arbre s'incline et adore Jésus ; et encore les têtes coupées parlent, les calices brisés se réparent d'eux-mêmes, la pluie s'écarte d'une église pour noyer les palais voisins, la robe des solitaires ne s'use point, se refait à chaque saison, comme une peau de bête. En Arménie, les persécuteurs jettent à la mer les cercueils de plomb de cinq martyrs, et celui qui contient la dépouille de l'apôtre Barthélemy prend la tête, et les quatre autres l'accompagnent, pour lui faire honneur, et tous, dans le bel ordre d'une escadre, ils flottent lentement sous la brise, par de longues étendues de mer, jusqu'aux rives de Sicile.

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