Le Rêve

Le Rêve (paragraphe n°205)

Chapitre IV

Le printemps, cette année, fut d'une douceur exquise. Elle avait seize ans, et jusqu'à ce jour, ses regards seulss'étaient plu à voir reverdir le Clos-Marie, sous les soleils d'avril. La poussée des feuilles tendres, la transparence des soirées chaudes, tout le renouveau odorant de la terre, simplement, l'amusait. Mais, cette année, au premier bourgeon, son cœur venait de battre. Il y avait, en elle, un émoi grandissant, depuis que montaient les herbes, et que le vent lui apportait l'odeur plus forte des verdures. Des angoisses brusques, sans cause, la serraient à la gorge. Un soir, elle se jeta dans les bras d'Hubertine, pleurant, n'ayant aucun sujet de chagrin, bien heureuse au contraire. La nuit, surtout, elle faisait des rêves délicieux, elle voyait passer des ombres, elle défaillait en des ravissements, qu'elle n'osait se rappeler au réveil, confuse de ce bonheur que lui donnaient les anges. Parfois, au fond de son grand lit, elle s'éveillait en sursaut, les deux mains jointes, serrées contre sa poitrine ; et il lui fallait sauter pieds nus sur le carreau de sa chambre, tant elle étouffait ; et elle courait ouvrir la fenêtre, elle restait là, frissonnante, éperdue, dans ce bain d'air frais qui la calmait. C'était un émerveillement continuel, une surprise de ne pas se reconnaître, de se sentir comme agrandie de joies et de douleurs qu'elle ignorait, toute la floraison enchantée de la femme.

?>