Le Rêve
Le Rêve (paragraphe n°1031)
Chapitre XIV
Chaque après-midi, Félicien montait la voir. Hubert et Hubertine étaient là, on passait ensemble d'adorables heures, on refaisait les mêmes projets, continuellement. Assise, elle se montrait d'une vivacité rieuse, la première à parler des jours si remplis de leur prochaine existence, les voyages, Hautecœur à restaurer, toutes les félicités à connaître. On l'aurait dite bien sauvée alors, reprenant des forces, dans le printemps hâtif qui entrait, chaque jour plus tiède, par la fenêtre ouverte. Et elle ne retombait aux gravités de ses songeries que lorsqu'elle était seule,ne craignant pas d'être vue. La nuit, des voix l'avaient effleurée ; puis, c'était un appel de la terre, à son entour ; en elle aussi, la clarté se faisait, elle comprenait que le miracle continuait uniquement pour la réalisation de son rêve. N'était-elle pas morte déjà, n'existant plus parmi les apparences que grâce à un répit des choses ? Cela, aux heures de solitude, la berçait avec une douceur infinie, sans regret à l'idée d'être emportée dans sa joie, certaine toujours d'aller jusqu'au bout du bonheur. Le mal attendrait. Sa grande allégresse en devenait simplement sérieuse, elle s'abandonnait, inerte, ne sentait plus son corps, volait aux pures délices ; et il fallait qu'elle entendît les Hubert rouvrir la porte, ou que Félicien entrât la voir, pour qu'elle se redressât, feignant la santé revenue, causant avec des rires de leurs années de ménage, très loin, dans l'avenir.