Le Rêve
Le Rêve (paragraphe n°102)
Chapitre III
Depuis le milieu du dernier siècle, pas une modification ne s'était produite dans l'aménagement de l'atelier. Les modes changeaient, l'art du brodeur se transformait, mais on retrouvait encore là, scellée au mur, la chanlatte, la pièce de bois où s'appuie le métier, qu'un tréteau mobile porte, à l'autre bout. Dans les coins, dormaient des outils antiques : un diligent, avec son engrenage et ses brochettes, pour mettre en broche l'or des bobines, sans y toucher ; un rouet à main, une sorte de poulie, tordant les fils, qu'on fixait au mur ; des tambours de toutes grandeurs, garnis de leur taffetas et de leur éclisse, servant à broder au crochet. Sur une planche, était rangée une vieille collection d'emporte-pièce pour les paillettes ; et l'on y voyait aussi une épave, un tatignon de cuivre, le large chandelier classique des anciens brodeurs. Aux boucles d'un râtelier, fait d'une courroie clouée, s'accrochaient des poinçons, des maillets, des marteaux, des fers à découper le vélin, des menne-lourd, ébauchoirs de buis pour modeler les fils, à mesure qu'on les emploie. Sous la table de tilleul où l'on découpait, il y avait un grand dévidoir, dont les deux tourrettes d'osier, mobiles, tendaient un écheveau de laine rouge. Des colliers de bobines aux soies vives, enfilés dans une corde, pendaient près du bahut. Par terre, une corbeille était pleine de bobines vides. Une pelote de ficelle venait de tomber d'une chaise, déroulée.