Le Docteur Pascal
Le Docteur Pascal (paragraphe n°970)
Chapitre VIII
Puis, quand la maison leur sembla trop petite, ils eurent le jardin, la Souleiade entière. Le printemps montait avec le soleil, avril à son déclin commençait à fleurir les roses. Et quelle joie, cette propriété, si bien close de murs, où rien du dehors ne les pouvait inquiéter ! Ce furent de longs oublis sur la terrasse, en face de l'immense horizon, déroulant le cours ombragé de la Viorne et les coteaux de Sainte-Marthe, depuis les barres rocheuses de la Seille jusqu'aux lointains poudreuxde la vallée de Plassans. Ils n'avaient là d'autre ombre que celle des deux cyprès centenaires, plantés aux deux bouts, pareils à deux énormes cierges verdâtres, qu'on voyait de trois lieues. Parfois, ils descendirent la pente, pour le plaisir de remonter les gradins géants, escaladant les petits murs de pierres sèches qui soutenaient les terres, regardant si les olives chétives, si les amandes maigres poussaient. Plus souvent, ils firent des promenades délicieuses sous les fines aiguilles de la pinède, toutes trempées de soleil, exhalant un puissant parfum de résine, des tours sans cesse repris, le long du mur de clôture, derrière lequel on entendait seulement, de loin en loin, le gros bruit d'une charrette dans l'étroit chemin des Fenouillères, des stations enchantées sur l'aire antique, d'où l'on voyait tout le ciel, et où ils aimaient à s'étendre, avec le souvenir attendri de leurs larmes d'autrefois, lorsque leur amour, ignoré d'eux-mêmes, se querellait sous les étoiles. Mais la retraite préférée, celle où ils finissaient toujours par aller se perdre, ce fut le quinconce de platanes, l'épais ombrage, alors d'un vert tendre, pareil à une dentelle. Dessous, les buis énormes, les anciennes bordures du jardin français disparu, faisaient une sorte de labyrinthe, dont ils ne trouvaient jamais le bout. Et le filet d'eau de la fontaine, l'éternelle et pure vibration de cristal, leur paraissait chanter dans leur cœur. Ils restaient assis près du bassin moussu, ils laissaient tomber là le crépuscule, peu à peu noyés sous les ténèbres des arbres, les mains unies, les lèvres rejointes, tandis que l'eau, qu'on ne voyait plus, filait sans fin sa note de flûte.
Jusqu'au milieu de mai, Pascal et Clotilde s'enfermèrent ainsi, sans même franchir le seuil de leur retraite. Un matin, comme elle s'attardait au lit, il disparut, rentra une heure plus tard ; et, l'ayant retrouvée couchée, dans son joli désordre, les bras nus, les épaules nues, il lui mit aux oreilles deux brillants, qu'il venait de courir acheter, en se rappelant que l'anniversaire de sa naissance tombait ce jour-là. Elle adorait les bijoux, elle fut surprise et ravie, elle ne voulut plus se lever, tellement elle se trouvait belle, ainsi dévêtue, avec ces étoiles au bord des joues. A partir de ce moment, il ne se passa pas de semaine, sans qu'il s'évadât de la sorte une ou deux fois, le matin, pour rapporter quelque cadeau. Les moindres prétextes lui étaient bons, une fête, un désir, une simple joie. Il profitait de ses jours de paresse, s'arrangeait de façon à être de retour, avant qu'elle se levât et il la parait lui-même, au lit. Ce furent, successivement, des bagues, des bracelets, un collier, un diadème mince. Il sortait les autres bijoux, il se faisait un jeu de les lui mettre tous, au milieu de leurs rires. Elle était comme une idole, le dos contre l'oreiller, assise sur son séant, chargée d'or, avec un bandeau d'or dans ses cheveux, de l'or à ses bras nus, de l'or à sa gorge nue, toute nue et divine, ruisselante d'or et de pierreries. Sa coquetterie de femme en était délicieusement satisfaite, elle se laissait aimer à genoux, en sentant bien qu'il y avait seulement là une forme exaltée de l'amour. Pourtant, elle commençait à gronder un peu, à lui faire de sages remontrances, car ça devenait absurde, en somme, ces cadeaux, qu'elle devait serrer ensuite au fond d'un tiroir, sans jamais s'en servir, n'allant nulle part. Ils tombaient à l'oubli, après l'heure de contentement et degratitude qu'ils leur procuraient, dans leur nouveauté. Mais lui ne l'écoutait pas, emporté par cette véritable folie du don, incapable de résister au besoin d'acheter l'objet, dès que l'idée l'avait pris de le lui donner. C'était une largesse de cœur, un impérieux désir de lui prouver qu'il pensait toujours à elle, un orgueil à la voir la plus magnifique, la plus heureuse, la plus enviée, un sentiment du don plus profond encore, qui le poussait à se dépouiller, à ne rien garder de son argent, de sa chair, de sa vie. Et puis, quelles délices, quand il croyait lui avoir fait un vrai plaisir, qu'il la voyait se jeter à son cou, toute rouge, avec de gros baisers pour remerciements ! Après les bijoux, ce furent des robes, des chiffons, des objets de toilette. La chambre s'encombrait, les tiroirs allaient déborder.