Le Docteur Pascal
Le Docteur Pascal (paragraphe n°486)
Chapitre IV
Alors, Pascal resta désarmé, envahi d'une tristesse croissante. Son remords augmentait de s'être montré tolérant, de n'avoir pas dirigé en maître absolu l'éducation et l'instruction de Clotilde. Dans sa croyance que lesarbres poussaient droit, quand on ne les gênait point, il lui avait permis de grandir à sa guise, après lui avoir appris simplement à lire et à écrire. C'était sans plan conçu à l'avance, uniquement par le train coutumier de leur vie, qu'elle avait à peu près tout lu et qu'elle s'était passionnée pour les sciences naturelles, en l'aidant à faire des recherches, à corriger ses épreuves, à recopier et à classer ses manuscrits. Comme il regrettait aujourd'hui son désintéressement ! Quelle forte direction il aurait donnée à ce clair esprit, si avide de savoir, au lieu de le laisser s'écarter et se perdre, dans ce besoin de l'au-delà, que favorisaient la grand-mère Félicité et la bonne Martine ! Tandis que lui s'en tenait au fait, s'efforçait de ne jamais aller plus loin que le phénomène, et qu'il y réussissait par sa discipline de savant, sans cesse il l'avait vue se préoccuper de l'inconnu, du mystère. C'était, chez elle, une obsession, une curiosité d'instinct qui arrivait à la torture, lorsqu'elle n'était pas satisfaite. Il y avait là un besoin que rien ne rassasiait, un appel irrésistible vers l'inaccessible, l'inconnaissable. Déjà, quand elle était petite, et plus tard surtout, jeune fille, elle allait tout de suite au pourquoi et au comment, elle exigeait les raisons dernières. S'il lui montrait une fleur, elle lui demandait pourquoi cette fleur ferait une graine, pourquoi cette graine germerait. Puis, c'était le mystère de la conception, des sexes, de la naissance et de la mort, et les forces ignorées, et Dieu, et tout. En quatre questions, elle l'acculait chaque fois à son ignorance fatale ; et, quand il ne savait plus que répondre, qu'il se débarrassait d'elle, avec un geste de fureur comique, elle avait un beau rire de triomphe, elle retournait éperdue dans ses rêves, dans la vision illimitée de tout ce qu'on ne connaît pas et detout ce qu'on peut croire. Souvent, elle le stupéfiait par ses explications. Son esprit, nourri de science, partait des vérités prouvées, mais d'un tel bond, qu'elle sautait du coup en plein ciel des légendes. Des médiateurs passaient, des anges, des saints, des souffles surnaturels, modifiant la matière, lui donnant la vie ; ou bien encore ce n'était qu'une même force, l'âme du monde, travaillant à fondre les choses et les êtres en un final baiser d'amour, dans cinquante siècles. Elle en avait fait le compte, disait-elle.