Le Docteur Pascal

Le Docteur Pascal (paragraphe n°394)

Chapitre III

D'un geste, il écarta ce passé affreux, qu'il connaissait. Il la revoyait jeune, grande créature mince et pâle, aux yeux effarés, veuve tout de suite de Rougon, du lourd jardinier qu'elle avait voulu pour mari, se jetant avant la fin de son deuil aux bras du contrebandier Macquart, qu'elle aimait d'un amour de louve et qu'ellen'épousait même pas. Elle avait ainsi vécu quinze ans, avec un enfant légitime et deux bâtards, au milieu du vacarme et du caprice, disparaissant pendant des semaines, revenant meurtrie, les bras noirs. Puis, Macquart était mort d'un coup de feu, abattu comme un chien par un gendarme ; et, sous ce premier choc, elle s'était figée, ne gardant déjà de vivants que ses yeux d'eau de source, dans sa face blême, se retirant du monde au fond de la masure que son amant lui avait laissée, y menant pendant quarante années l'existence d'une nonne, que traversaient d'épouvantables crises nerveuses. Mais l'autre choc devait l'achever, la jeter à la démence, et Pascal se la rappelait, la scène atroce, car il y avait assisté : un pauvre enfant que la grand-mère avait pris chez elle, son petit-fils Silvère, victime des haines et des luttes sanglantes de la famille, et dont un gendarme encore avait cassé la tête d'un coup de pistolet, pendant la répression du mouvement insurrectionnel de 1851. Du sang, toujours, l'éclaboussait.

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