Le Docteur Pascal
Le Docteur Pascal (paragraphe n°355)
Chapitre III
Le silence de Félicité s'était assombri, car elle n'aimait pas montrer l'oncle Macquart. Encore un dont la famille serait bien débarrassée, le jour où il s'en irait ! Pour la gloire d'eux tous, il aurait dû dormir sous la terre depuis longtemps. Mais il s'entêtait, il portait ses quatre-vingt-trois ans en vieil ivrogne, saturé de boisson, que l'alcool semblait conserver. A Plassans, il avait une légende terrible de fainéant et de bandit, et les vieillards chuchotaient l'exécrable histoire des cadavres qu'il yavait entre lui et les Rougon, une trahison aux jours troublés de décembre 1851, un guet-apens dans lequel il avait laissé des camarades, le ventre ouvert, sur le pavé sanglant. Plus tard, quand il était rentré en France, il avait préféré, à la bonne place qu'il s'était fait promettre, ce petit domaine des Tulettes, que Félicité lui avait acheté. Et il y vivait grassement depuis lors, il n'avait plus eu que l'ambition de l'arrondir, guettant de nouveau les bons coups, ayant encore trouvé le moyen de se faire donner un champ longtemps convoité, en se rendant utile à sa belle-sœur, lorsque celle-ci avait dû reconquérir Plassans sur les légitimistes : une autre effroyable histoire qu'on se disait aussi à l'oreille, un fou lâché sournoisement de l'Asile, battant la nuit, courant à sa vengeance, incendiant sa propre maison, où flambaient quatre personnes. Mais c'étaient heureusement là des choses anciennes, et Macquart, rangé aujourd'hui, n'était plus le bandit inquiétant dont avait tremblé toute la famille. Il se montrait fort correct, d'une diplomatie finaude, n'ayant gardé que son rire goguenard qui avait l'air de se ficher du monde.