Le Docteur Pascal
Le Docteur Pascal (paragraphe n°206)
Chapitre II
Ah ! cette hérédité, quel sujet pour lui de méditations sans fin ! L'inattendu, le prodigieux n'était-ce point que la ressemblance ne fût pas complète, mathématique, des parents aux enfants ? Il avait, pour sa famille, d'abord dressé un arbre logiquement déduit, où les parts d'influence, de génération en génération, se distribuaient moitié par moitié, la part du père et la part de la mère. Mais la réalité vivante, presque à chaque coup, démentait la théorie. L'hérédité, au lieu d'être la ressemblance, n'était que l'effort vers la ressemblance, contrarié par les circonstances et le milieu. Et il avait abouti à ce qu'il nommait l'hypothèse de l'avortement des cellules. La vie n'est qu'un mouvement, et l'hérédité étant le mouvement communiqué, les cellules, dans leur multiplication les unes des autres, se poussaient, se foulaient, se casaient, en déployant chacune l'effort héréditaire ; de sorte que si, pendant cette lutte, des cellules plus faibles succombaient, on voyait se produire, au résultat final, des troubles considérables, des organes totalement différents. L'innéité, l'invention constante de la nature à laquelle il répugnait, ne venait-elle pas de là ? n'était-il pas, lui, sidifférent de ses parents, que par suite d'accidents pareils, ou encore par l'effet de 1'hérédité larvée, à laquelle il avait cru un moment ? car tout arbre généalogique a des racines qui plongent dans l'humanité jusqu'au premier homme, on ne saurait partir d'un ancêtre unique, on peut toujours ressembler à un ancêtre plus ancien, inconnu. Pourtant, il doutait de l'atavisme, son opinion était, malgré un exemple singulier pris dans sa propre famille, que la ressemblance, au bout de deux ou trois générations, doit sombrer, en raison des accidents, des interventions, des mille combinaisons possibles. Il y avait donc là un perpétuel devenir, une transformation constante dans cet effort communiqué, cette puissance transmise, cet ébranlement qui souffle la vie à la matière et qui est toute la vie. Et des questions multiples se posaient. Existait-il un progrès physique et intellectuel à travers les âges ? Le cerveau, au contact des sciences grandissantes, s'amplifiait-il ? Pouvait-on espérer, à la longue, une plus grande somme de raison et de bonheur ? Puis, c'étaient des problèmes spéciaux, un entre autres, dont le mystère l'avait longtemps irrité : comment un garçon, comment une fille, dans la conception ? n'arriverait-on jamais à prévoir scientifiquement le sexe, ou tout au moins à l'expliquer ? Il avait écrit, sur cette matière, un très curieux mémoire, bourré de faits, mais concluant en somme à l'ignorance absolue où l'avaient laissé les plus tenaces recherches. Sans doute, l'hérédité ne le passionnait-elle ainsi que parce qu'elle restait obscure, vaste et insondable, comme toutes les sciences balbutiantes encore, où l'imagination est maîtresse. Enfin, une longue étude qu'il avait faite sur l'hérédité de la phtisie venait de réveiller en lui la foi chancelante dumédecin guérisseur, en le lançant dans l'espoir noble et fou de régénérer l'humanité.