Le Docteur Pascal

Le Docteur Pascal (paragraphe n°1881)

Chapitre XIV

Ah ! cette Souleiade, tout son amour y était, toute sa vie, tous ses souvenirs ! Il lui semblait, par moments, que Pascal y vivait encore, car elle n'y avait rien dérangé de leur existence de jadis. Les meubles étaient aux mêmes places, les heures y sonnaient les mêmes habitudes. Elle n'y avait fermé que sa chambre, à lui, où elle seule entrait, ainsi que dans un sanctuaire, pour pleurer, lorsqu'elle sentait son cœur trop lourd. Dans la chambre où tous deux s'étaient aimés, dans le lit où il était mort, elle se couchait chaque nuit, comme autrefois, lorsqu'elle était jeune fille ; et il n'y avait de plus, là, contre ce lit, que le berceau, qu'elle y apportait le soir. C'était toujours la même chambre douce aux antiques meubles familiers, aux tentures attendries par l'âge, couleur d'aurore, la très vieille chambre que l'enfant rajeunissait de nouveau. Puis, en bas, si elle se trouvait bien seule, bien perdue, à chaque repas, dans la salle à manger claire, elle yentendait les échos des rires, des vigoureux appétits de sa jeunesse, lorsque tous les deux mangeaient et buvaient si gaiement, à la santé de l'existence. Et le jardin aussi, toute la propriété tenait à son être, par les fibres les plus intimes, car elle ne pouvait y faire un pas, sans y évoquer leurs deux images unies l'une à l'autre : sur la terrasse, à l'ombre mince des grands cyprès séculaires, ils avaient si souvent contemplé la vallée de la Viorne, que bornaient les barres rocheuses de la Seille et les coteaux brûlés de Sainte-Marthe ! par les gradins de pierres sèches, au travers des oliviers et des amandiers maigres, ils s'étaient tant de fois défiés à grimper lestement, comme des gamins en fuite de l'école ! et il y avait encore la pinède, l'ombre chaude et embaumée, où les aiguilles craquaient sous les pas, l'aire immense, tapissée d'une herbe moelleuse aux épaules, d'où l'on découvrait le ciel entier, le soir, quand se levaient les étoiles ! et il y avait surtout les platanes géants, la paix délicieuse qu'ils étaient venus goûter là, chaque jour d'été, en écoutant la chanson rafraîchissante de la source, la pure note de cristal qu'elle filait depuis des siècles ! Jusqu'aux vieilles pierres de la maison, jusqu'à la terre du sol, il n'était pas un atome, à la Souleiade, où elle ne sentit le battement tiède d'un peu de leur sang, d'un peu de leur vie répandue et mêlée.

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