Le Docteur Pascal
Le Docteur Pascal (paragraphe n°1662)
Chapitre XII
Le jour se levait enfin, un petit jour triste, dans une pâle matinée de novembre. Pascal avait fait ouvrir les volets ; et, quand il se trouva seul, il regarda croître cette lumière, celle de la dernière journée qu'il vivrait sans doute. La veille, il avait plu, le soleil était resté voilé, tiède encore. Des platanes voisins, il entendait venir tout un réveil d'oiseaux, tandis que, très loin, au fond de la campagne ensommeillée, une locomotive sifflait, d'une plainte continue. Et il était seul, seul, dans la grande maison morne, dont il sentait autour de lui le vide, dont il écoutait le silence. Le jour grandissait lentement, il continuait à en suivre, sur les vitres, la tache élargie et blanchissante. Puis, la flamme de la bougie fut noyée, la chambre apparut, tout entière. Il en attendait un soulagement, et il ne fut pas déçu, des consolations lui arrivèrent de la tenture couleur d'aurore, de chacun des meubles familiers, du vaste lit où il avait tant aimé et où il s'était couché pour mourir. Sous le haut plafond, par la pièce frissonnante, flottaient toujours une pure odeur de jeunesse, une infinie douceur d'amour, dont il était enveloppé comme d'une caresse fidèle, et réconforté.
Cependant, Pascal, bien que la crise aiguë eût cessé, souffrait affreusement. Une douleur poignante restait au creux de la poitrine, et son bras gauche, engourdi, pesait à son épaule ainsi qu'un bras de plomb. Dans l'interminable attente du secours que Martine allait ramener, il avait fini par fixer toute sa pensée sur cette souffrance dont criait sa chair. Et il se résignait, il ne retrouvait pas la révolte que soulevait en lui, autrefois, le seul spectacle de la douleur physique. Elle l'exaspérait, comme une cruauté monstrueuse et inutile. Au milieu de ses doutes de guérisseur, il ne soignait plus ses malades que pour la combattre. S'il finissait par l'accepter, aujourd'hui que lui-même en subissait la torture, était-ce donc qu'il montait d'un degré encore dans sa foi en la vie, à ce sommet de sérénité, d'où la vie apparaît totalement bonne, même avec la fatale condition de la souffrance, qui en est le ressort peut-être ? Oui ! vivre toute la vie, la vivre et la souffrir toute, sans rébellion, sans croire qu'on la rendrait meilleure en la rendant indolore, cela éclatait nettement, à ses yeux de moribond, comme le grand courage et la grande sagesse. Et, pour tromper son attente, pour amuser son mal, il reprenait ses théories dernières, il rêvait au moyen d'utiliser la souffrance, de la transformer en action, en travail. Si l'homme, à mesure qu'il s'élève dans la civilisation, sent la douleur davantage, il est très certain qu'il y devient aussi plus fort, plus armé, plus résistant. L'organe, le cerveau qui fonctionne, se développe, se solidifie, pourvu que l'équilibre ne soit pas rompu, entre les sensations qu'il reçoit et le travail qu'il rend. Dès lors, ne pouvait-on faire le rêve d'une humanité où la somme du travail équivaudrait si bien à la somme des sensations, que lasouffrance s'y trouverait elle-même employée et comme supprimée ?