Le Docteur Pascal

Le Docteur Pascal (paragraphe n°1270)

Chapitre X

Du reste, ni Pascal ni Clotilde n'avaient eu, jusque-là, un grand mérite à garder leur sérénité dans l'infortune, car ils ne sentaient pas celle-ci. Ils vivaient au-dessus, plus loin, plus haut, dans l'heureuse et riche contrée de leur passion. A table, ils ignoraient ce qu'ils mangeaient, ils pouvaient faire le rêve de mets princiers, servis sur des plats d'argent. Autour d'eux, ils n'avaient pas conscience du dénuement qui croissait, de la servante affamée, nourrie de leurs miettes ; et ils marchaient par la maison vide comme à travers un palais tendu de soie, regorgeant de richesses. Ce fut certainement l'époque la plus heureuse de leurs amours. La chambre était un monde, la chambre tapissée de vieille indienne, couleur d'aurore, où ils ne savaient comment épuiser l'infini, le bonheur sans fin d'être aux bras l'un de l'autre. Ensuite, la salle detravail gardait les bons souvenirs du passé, à ce point qu'ils y vivaient les journées, comme drapés luxueusement dans la joie d'y avoir déjà vécu si longtemps ensemble. Puis, dehors, au fond des moindres coins de la Souleiade, c'était le royal été qui dressait sa tente bleue, éblouissante d'or. Le matin, le long des allées embaumées de la pinède, à midi, sous l'ombre noire des platanes, rafraîchie par la chanson de la source, le soir, sur la terrasse qui se refroidissait ou sur l'aire encore tiède, baignée du petit jour bleu des premières étoiles, ils promenaient avec ravissement leur existence de pauvres, dont la seule ambition était de vivre toujours ensemble, dans l'absolu dédain de tout le reste. La terre était à eux, et les trésors, et les fêtes, et les souverainetés, du moment qu'ils se possédaient.

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