Le Docteur Pascal
Le Docteur Pascal (paragraphe n°1259)
Chapitre X
Une vie de gêne, douce malgré tout, commença dès lors. Martine avait fait un inventaire exact des ressources de la maison, et c'était désastreux. Seule, la provision de pommes de terre promettait d'être sérieuse. Par une malchance, la jarre d'huile tirait à sa fin, de même que le dernier tonneau de vin s'épuisait. La Souleiade, n'ayant plus ni vignes ni oliviers, ne produisait guère que quelques légumes et un peu de fruits, des poires qui n'étaient pas mûres, du raisin de treille qui allait être l'unique régal. Enfin, il fallait quotidiennement acheter le pain et la viande. Aussi, dès le premier jour, la servante rationna-t-elle Pascal et Clotilde, supprimant les anciennes douceurs, les crèmes, les pâtisseries, réduisant les plats à la portion congrue. Elle avait repris toute son autorité d'autrefois, elle les traitait en enfants, qu'elle ne consultait même plus sur leurs désirs ni sur leurs goûts. C'était elle qui réglait les menus, qui savait mieux qu'eux ce dont ils avaient besoin, maternelle d'ailleurs, les entourant de soins infinis, faisant ce miracle de leur donner encore de l'aisance pour leur pauvre argent, ne les bousculant parfois que dans leur intérêt, comme on bouscule les gamins qui ne veulent pas manger leur soupe. Et il semblait que cette singulière maternité, cette immolation dernière, cette paix de l'illusion dont elle entourait leurs amours, la contentait un peu elle aussi, la tirait du sourd désespoir où elle était tombée. Depuisqu'elle veillait ainsi sur eux, elle avait retrouvé sa petite figure blanche de nonne vouée au célibat, ses calmes yeux couleur de cendre. Lorsque, après les éternelles pommes de terre, la petite côtelette de quatre sous, perdue au milieu des légumes, elle arrivait, certains jours, sans compromettre son budget, à leur servir des crêpes, elle triomphait, elle riait de leurs rires.