Le Docteur Pascal
Le Docteur Pascal (paragraphe n°1009)
Chapitre VIII
Ce fut alors que Pascal et Clotilde cessèrent de se cloîtrer. Il n'y eut pas, chez eux, de provocation, ils ne voulurent pas répondre aux vilains bruits en affichant leur bonheur. Cela se produisit comme une expansion naturelle de leur joie. Lentement, leur amour avait eu un besoin d'élargissement et d'espace, d'abord hors de la chambre, puis hors de la maison, maintenant hors du jardin, dans la ville, dans l'horizon vaste. Il emplissait tout, il leur donnait le monde. Le docteur reprit donc tranquillement ses visites, et il emmenait la jeune fille, et ils s'en allaient ensemble par les promenades, par les rues, elle à son bras, en robe claire, coiffée d'une gerbe de fleurs, lui boutonné dans sa redingote, avec son chapeau à larges bords. Lui, était tout blanc ; elle, était toute blonde. Ils s'avançaient, la tête haute, droits et souriants, au milieu d'un tel rayonnement de félicité, qu'ils semblaient marcher dans une gloire. D'abord, l'émotion fut énorme, les boutiquiers se mettaient sur leurs portes, des femmes se penchaient aux fenêtres, des passants s'arrêtaient pour les suivre des yeux. On chuchotait, on riait, on se les montrait du doigt. Il semblait à craindre que cette poussée de curiosité hostile ne finît par gagnerles gamins et ne leur fit jeter des pierres. Mais, ils étaient si beaux, lui superbe et triomphal, elle si jeune, si soumise et si fière, qu'une invincible indulgence vint peu à peu à tout le monde. On ne pouvait se défendre de les envier et de les aimer, dans une contagion enchantée de tendresse. Ils dégageaient un charme qui retournait les cœurs. La ville neuve, avec sa population bourgeoise de fonctionnaires et d'enrichis, fut la dernière conquise. Le quartier Saint-Marc, malgré son rigorisme, se montra tout de suite accueillant, d'une tolérance discrète, lorsqu'ils suivaient les trottoirs déserts, semés d'herbe, le long des vieux hôtels silencieux et clos, d'où s'exhalait le parfum évaporé des amours d'autrefois. Et ce fut surtout le vieux quartier qui, bientôt, leur fit fête, ce quartier dont le petit peuple, touché dans son instinct, sentit la grâce de légende, le mythe profond du couple, la belle jeune fille soutenant le maître royal et reverdissant. On y adorait le docteur pour sa bonté, sa compagne fut vite populaire, saluée par des gestes d'admiration et de louange, dès qu'elle paraissait. Eux, cependant, s'ils avaient semblé ignorer l'hostilité première, devinaient bien maintenant le pardon et l'amitié attendrie dont ils étaient entourés ; et cela les rendait plus beaux, leur bonheur riait à la ville entière.