La Terre
La Terre (paragraphe n°763)
Chapitre II
Ah ! quel ravage désolait ce coin de terre ! quelle lamentation montait du désastre, entrevu aux lueurs vacillantes des lanternes ! Lise et Françoise promenaient la leur, si trempée de pluie, que les vitres éclairaient à peine ; et elles l'approchaient des planches, elles distinguaient confusément, dans le cercle étroit de lumière, les haricots et les pois rasés au pied, les salades tranchées, hachées, sans qu'on pût songer seulement à en utiliser les feuilles. Mais les arbres surtout avaient souffert : les menues branches, les fruits, en étaient coupés comme avec des couteaux ; les troncs eux-mêmes, meurtris, perdaient leur sève par les trous de l'écorce. Et plus loin, dans les vignes, c'était pis, les lanternes pullulaient, sautaient, s'enrageaient, au milieu de gémissements et de jurons. Les ceps semblaient fauchés, les grappes en fleur jonchaient le sol, avec des débris de bois et de pampres ; non seulement la récolte de l'année était perdue, mais les souches, dépouillées, allaient végéter et mourir. Personne ne sentait la pluie, un chien hurlait à la mort, des femmes éclataient en larmes, comme au bord d'une fosse. Macqueron et Lengaigne, malgré leur rivalité, s'éclairaient mutuellement, passaientde l'un chez l'autre, en poussant des nom de Dieu ! à mesure que défilaient les ruines, cette vision courte et blafarde, reprise derrière eux par l'ombre. Bien qu'il n'eût plus de terres, le vieux Fouan voulait voir, se fâchant. Peu à peu, tous s'emportaient : était-ce possible de perdre, en un quart d'heure, le fruit d'un an de travail ? Qu'avaient-ils fait pour être punis de la sorte ? Ni sécurité, ni justice, des fléaux sans raison, des caprices qui tuaient le monde. Brusquement, la Grande, furibonde, ramassa des cailloux, les lança en l'air pour crever le ciel, qu'on ne distinguait pas. Et elle gueulait :