La Terre
La Terre (paragraphe n°675)
Chapitre I
Ce jour-là, dès qu'il fut dehors, il se rappela son fils, le capitaine. A eux deux, ils auraient fait de si bonne besogne ! Mais il écarta le souvenir de cet imbécile qui préférait traîner un sabre. Il n'avait plus d'enfant, il finirait solitaire. Puis, l'idée lui vint de ses voisins, les Coquart surtout, des propriétaires qui cultivaient eux-mêmes leur ferme de Saint-Juste, le père, la mère, trois fils et deux filles, et qui ne réussissaient guère mieux. A la Chamade, Robiquet, le fermier, à bout de bail, ne fumait plus, laissait le bien se détruire. C'était ainsi, il y avait du mal partout, il fallait se tuer de travail, et ne pas se plaindre. Peu à peu d'ailleurs, une douceur berçante montait des grandes pièces vertes qu'il longeait. De légères pluies, en avril, avaient donné une belle poussée aux fourrages. Les trèfles incarnats le ravirent, il oublia le reste. Maintenant, il coupait par les labours, pour jeter un coup d'œil sur la besogne de ses deux charretiers : la terre collait à ses pieds, il la sentait grasse, fertile, comme si elle eût voulu le retenir d'une étreinte ; et elle le reprenait tout entier, il retrouvait la virilité de ses trente ans, la force et la joie. Est-ce qu'il y avait d'autres femmes qu'elle ? est-ce que ça comptait, les Cognette, celle-ci ou celle-là, l'assiette où l'on mange tous, dont il faut bien se contenter, quand elle est suffisamment propre ? Une excuse si concluante à son besoin lâche de cette gueuse acheva de l'égayer. Il marcha trois heures, il plaisanta avec une fille, justement la servante des Coquart, qui revenait de Cloyes sur un âne, en montrant ses jambes.