La Terre
La Terre (paragraphe n°5)
Chapitre I
Et toujours, et du même pas, avec le même geste, il allait au nord, il revenait au midi, enveloppé dans la poussière vivante du grain ; pendant que, derrière, la herse, sous les claquements du fouet, enterrait les germes, du même train doux et comme réfléchi. De longues pluies venaient de retarder les semaines d'automne ; on avait encore fumé en août, et les labours étaient prêts depuis longtemps, profonds, nettoyés des herbes salissantes, bons à redonner du blé, après le trèfle et l'avoine de l'assolement triennal. Aussi la peur des gelées prochaines, menaçantes à la suite de ces déluges, faisait-elle se hâter les cultivateurs. Le temps s'était misbrusquement au froid, un temps couleur de suie, sans un souffle de vent, d'une lumière égale et morne sur cet océan de terre immobile. De toutes parts, on semait : il y avait un autre semeur à gauche, à trois cents mètres, un autre plus loin, vers la droite ; et d'autres, d'autres encore s'enfonçaient en face, dans la perspective fuyante des terrains plats. C'étaient de petites silhouettes noires, de simples traits de plus en plus minces, qui se perdaient à des lieues. Mais tous avaient le geste, l'envolée de la semence, que l'on devinait comme une onde de vie autour d'eux. La plaine en prenait un frisson, jusque dans les lointains noyés, où les semeurs épars ne se voyaient plus.