La Terre
La Terre (paragraphe n°2935)
Chapitre II
Il faut dire qu'il tombait mal, car la Grande était d'une humeur féroce, à la suite de toute une histoiremalheureuse qui l'avait dérangée, l'autre semaine. Un soir qu'elle se trouvait seule avec son petit-fils Hilarion, elle avait eu l'idée de lui faire fendre du bois, pour tirer encore de lui ce travail, avant de l'envoyer à la paille ; et, comme il besognait mollement, elle restait là, au fond du bûcher, à le couvrir d'injures. Jusqu'à cette heure, dans son aplatissement d'épouvante, cette brute stupide et contrefaite, aux muscles de taureau, avait laissé sa grand-mère abuser de ses forces, sans même oser lever les yeux sur elle. Depuis quelques jours pourtant, elle aurait dû se méfier, car il frémissait sous les corvées trop rudes, des chaleurs de sang raidissaient ses membres. Elle eut le tort, pour l'exciter, de le frapper à la nuque, du bout de sa canne. Il lâcha la cognée, il la regarda. Irritée de cette révolte, elle le cinglait aux flancs, aux cuisses, partout, lorsque, brusquement, il se rua sur elle. Alors, elle se crut renversée, piétinée, étranglée ; mais non, il avait trop jeûné depuis la mort de sa sœur Palmyre, sa colère se tournait en une rage de mâle, n'ayant conscience ni de la parenté ni de l'âge, à peine du sexe. La brute la violait, cette aïeule de quatre-vingt-neuf ans, au corps de bâton séché, où seule demeurait la carcasse fendue de la femelle. Et, solide encore, inexpugnable, la vieille ne le laissa pas faire, put saisir la cognée, lui ouvrit le crâne, d'un coup. A ses cris, des voisins accouraient, elle conta l'histoire, donna des détails : un rien de plus, et elle y passait, le bougre était au bord. Hilarion ne mourut que le lendemain. Le juge était venu ; puis, il y avait eu l'enterrement ; enfin, toutes sortes d'ennuis, dont elle se trouvait heureusement remise, très calme, mais ulcérée de l'ingratitude du monde et bien résolue à ne plus jamais rendre un service à ceux de sa famille.