La Terre

La Terre (paragraphe n°2351)

Chapitre III

Fouan, non plus, n'aimait guère Canon, qu'il accusait d'être un fainéant et de vouloir des choses à finir sur l'échafaud. Quand ce brigand était là, le vieux en devenait tout triste, à ce point qu'il préférait fumer sa pipe dehors. D'ailleurs, la vie de nouveau se gâtait pour lui, il ne godaillait plus si volontiers chez son fils, depuis que toute une fâcheuse histoire les divisait. Jusque-là, Jésus-Christ n'avait vendu les terres de son lot, lopins à lopins, qu'à son frère Buteau et à son beau-frère Delhomme ; et, chaque fois, Fouan, dont la signature était nécessaire, l'avait donnée sans rien dire, du moment que le bien restait dans la famille. Mais voilà qu'il s'agissait d'un dernier champ, sur lequel le braconnier avait emprunté, un champ que le prêteur parlait de faire mettre aux enchères, parce qu'il ne touchait pas un sou des intérêts convenus. Monsieur Baillehache, consulté, avait dit qu'il fallait vendre soi-même, et tout de suite, si l'on ne voulait pas être dévoré par les frais. Le malheur était que Buteau et Delhomme refusaient d'acheter, furieux de ce que le père se laissât manger la peau chez sa grande fripouille d'aîné, résolus à ne s'occuper de rien, tant qu'il vivrait là. Et le champ allait être vendu par autorité de justice, le papier timbré marchait bon train, c'était la première pièce de terre qui sortait de la famille. Le vieux n'en dormait plus. Cette terre que son père, son grand-père, avaient convoitée si fort et si durement gagnée ! cette terre possédée, gardée jalousement comme une femme à soi ! la voir s'émietter ainsi dans les procès, se déprécier,passer aux bras d'un autre, d'un voisin, polir la moitié de son prix ! Il en frémissait de rage, il en avait le cœur si crevé, qu'il en sanglotait comme un enfant. Ah ! ce cochon de Jésus-Christ !

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