La Terre
La Terre (paragraphe n°2231)
Chapitre II
Justement, un jour que Fouan revenait à pied de Cloyes, après s'être fait payer sa rente chez le notaire, et qu'il s'était assis au fond d'un fossé, Jésus-Christ, qui flânait par là, visitant des terriers à lapins, l'aperçut très absorbé, profondément occupé à compter des pièces de cent sous, dans son mouchoir. Il s'accroupit aussitôt, rampa, arriva au-dessus de son père sans bruit ; et là, allongé, il eut la surprise de lui voir nouer soigneusement une grosse somme, peut-être bien quatre-vingts francs : ses yeux flambèrent, un rire silencieux découvrit ses dents de loup. Tout de suite, l'ancienne idée d'un magot lui était venue. Evidemment, le vieux avait des titres cachés, dont il touchait les coupons, chaque trimestre, en profitant de sa visite à monsieur Baillehache. La première pensée de Jésus-Christ fut de larmoyer et d'arracher vingt francs. Puis, cela lui parut mesquin, un autre plan s'élargissait dans sa tête, il s'écarta aussi doucement qu'il s'était approché, d'un glissement souple de couleuvre ; de sorte que Fouan, remonté sur la route, n'eut aucune méfiance, en le rencontrant cent pas plus loin, avec l'allure désintéressée d'un gaillard, qui, lui aussi, rentrait à Rognes. Ils achevèrent le chemin ensemble, ilscausèrent, le père tomba fatalement sur les Buteau, des sans-cœur, qu'il accusait de le faire crever de faim ; et le fils, bonhomme, les yeux mouillés, proposa de le sauver de ces canailles en le prenant chez lui à son tour. Pourquoi non ? On ne s'embêtait pas, on rigolait du matin au soir, chez lui. La Trouille faisait de la cuisine pour deux, elle en ferait pour trois. Une sacrée cuisine, quand il y avait des sous !